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Chapitre III - L'expédition à l'île Sainte-Marie, l'île aux  Nattes.










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carte_isle_Sainte_Marie
Carte de l'isle de Sainte-Marie
Flacourt  1607-1660

Journal de Bord F. Verrazone. Sainte-Marie, Madagascar. 4 Juin.

«Enfin nous arrivons dans l'océan Indien. Trois jours de transfert de Paris à Saint-Denis de la Réunion puis Sainte-Marie. Notre matériel expédié dans un conteneur de vingt pieds parti dix jours avant et contenant tout le matériel de fouille nous a rejoint à la Pointe des Galets. Nous embarquons dès lors pour le port de Tamatave où nous transférons le matériel sur un navette locale. Destination finale, le port d'Ambodifototra à Sainte-Marie.

La première équipe d'archéologues est constituée de Ritchi Baneto archéologue au Laboratoire d'Archéologie Sous-marine de Marseille et chef des fouilles pour la mission. Baneto est escorté de Jacques Trémarec archéologue au Laboratoire d'Archéologie Sous-Marine de Brest, William Lekerne archéologue à l'Institut d'Archéologie Sous-Marine de Lorient, le Professeur Giuseppe Verrazone cartographe historien au Musée d'Histoire de la Marine de Marseille. Il a longtemps travaillé sur les Indiamen, ces bateaux de transport des comptoirs indiens de la East India Company vers les ports de Southampton et de Bristol. Également présent au rendez vous, Victor Brûlé plongeur aguerri et marin sauveteur en mer à Brest. Il est spécialiste des grandes traversées et il a un sens hors pair de la navigation. Ensuite vient Jean Leisseigne, plongeur expérimenté, il s'occupera avec Eric Caillé de la partie concernant les relevés et topographie des lieux. Lesseigne travaille au port de St Brieuc pour l’équipement de plongée. Incontournable, avec un sourire et un moral à toute épreuve, Susann Young, le médecin de l'expédition. Elle est aussi écrivain à Québec, elle a participé à de nombreuses expéditions dont une à Vanikoro en 2001. Pour finir, ma présence au sein de l'équipe comme journaliste d'investigation en archéologie sous-marine pour la 'Revue Trésors Archéologiques' à Marseille. Je rédigerais le journal de bord de la mission en mentionnant l’ensemble des découvertes effectuées durant les fouilles

La seconde équipe qui nous rejoindra dans quelques jours sera composée d'Eric Caillé, plongeur confirmé ; il s'occupera de la partie topographie et prise d'images sous-marines. Eric Caillé travaille avec Ritchi Baneto au Club de plongée des Langoustiers à l'île de Porquerolles ; ils ont participé aux fouilles sur une épave au large de l’îlot du Grand Ribaud. Le suivra Jean Colignon, archéologue naval et botaniste à Brest, sa spécialité durant l’expédition sera l'étude des bois des épaves. Il travaille essentiellement entre le laboratoire d'archéologie et le musée de la Marine à Brest. La seconde équipe sera complète avec la présence de Tomaso Casavalle, c'est lui qui finance l'expédition et qui s'occupe de la logistique. Il est armateur à Marseille et a une grande expérience dans l'organisation et la gestion de ce genre de fouilles.

L'ilet de Saint Marie ou l'île aux Nattes, est un îlot perdu à la pointe de Sainte-Marie. Ce fut un plaisir de découvrir ce véritable paradis pour botanistes. Nous avons pu découvrir une multitude de variétés de palmiers, d'orchidées, de bougainvillées et de girofliers. De grandes plages de sable blanc bordaient les bungalows tenus par des pêcheurs de l'île où nous serons logés». Extrait du journal de bord de Francesca Verrazone du Samedi 4 juin.

Le lendemain, une première réunion d'équipe fut établie sur la terrasse couverte donnant sur la pointe de l'île. L'ordre du jour était de préparer le matériel et établir la zone des fouilles. Autour de la table en bois et des lampes- tempête, Ritchi Baneto prit la parole.

- Nous allons concentrer nos efforts sur la mise en oeuvre du matériel, remonter les bateaux et installer les moteurs. Nous allons former plusieurs équipes réduites en attendant l'arrivée du reste du groupe. Une équipe sera en charge de monter le laboratoire d'analyse mobile et d'établir la liaison satellite avec le laboratoire de fouille archéologique de Marseille. La deuxième équipe sera en charge de mettre en route le sonar et le magnétomètre afin de quadriller au plus vite la zone.

- Quels sont les groupes ? demanda avec empressement Leisseigne.


- Nous allons former trois équipes, Jean et Victor pour le montage des hors-bords et du matos de plongée, Alexander, Jacques et Susann vous montez les labos et vous établissez le contact avec Marseille. Vous serez aidés si besoin par Francesca et Jacques qui s'occuperont de monter le sonar et faire les premiers repères topo de la zone. D'autres questions ? Bon...pas de question, reprit Ritchi, il est 9h00, fin du montage du matériel et du labo mobile ce soir 19h00!

Chacun sachant quoi faire en théorie, le groupe s'éparpilla par binôme jusqu'au conteneur fraîchement débarqué ce matin là avec la navette de Tamatave.






Les Verrazone et Lekerne restés sous l'avant-toit du bungalow reprirent ensemble les objectifs de la mission établis plusieurs mois durant avant le grand départ.

- Je refais un petit topo sur l'épave dit Giuseppe Verrazone, le but est de retrouver l'épave du Victorieux qui pourrait encore porter le nom de la Nossa Senhora do Cabo sur ses pièces d'origine. Échouée vers 1724, cette frégate nous attend voilà deçà deux-quatre-vingts ans environ. Elle était armée de soixante-douze canons, capable d'accueillir un équipage de quatre cents hommes, un chargement pourvu de butin fait en mer et de vivres. Nous devrions retrouver certains de ses canons, des ancres, des boulets, des bordées et membrures de la coque.

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Après l'abordage, ils firrent cap vers Madagascar.

A la clef des fouilles de l'épave de la Nossa Senhora Do Cabo, plus de cinq ans de fortune amassée par le Vice-roi et l'archevêque de Goa: Cargaison des richesses des Indes, des tissus, de la soie, des épices, du bois précieux, des pierres fines, des bijoux d'or ou d'argent et une quantité importante de diamants bruts venus des mines des royaumes de « Golconde » et de « Visapour» dans le sud des Indes

- Sainte-Marie se compose de plusieurs petites îles reprit Francesca. La plus connue est l'île aux Forbans, située au cœur de la baie d'Ambodifototra. Ensuite vient l'île aux Nattes au sud où nous sommes et enfin l'île aux Sables, un petit îlot perdu au milieu de l'océan Indien au Sud Est. De forts courants parcourent ces îles, nous avons une certaine chance de retrouver l'épave sous du sable ou de la vase.

- Ce qui est un avantage dit Lekerne, la vase conserve très bien, on en fait même des masques de beauté !


10 Juin, la découverte de l'épave.

Jacques Trémarec et Susann Young montèrent la station météo : une girouette, un baromètre et un anémomètre perchés tout en haut d'un mât de huit mètres. Le baromètre n'indiquait pas de dépression pour les jours à venir, les marées réglaient les périodes de recherches. Les forts courants empêchant de manœuvrer correctement le sonar et le magnétomètre, Ritchi Baneto, Jean Lesseigne et Victor Brûlé effectuaient les fouilles à l'étale lorsque le courant de marée est moindre. Ils suivaient les relevés établis la veille par Francesca Verazzone. Giuseppe Verrazone rejoint désormais par Susann Young pour la direction des fouilles depuis la terre

Giuseppe Verrazone était soucieux. Grattant ses cheveux grisonnants au dessus d'une carte ancienne de Sainte-Marie il partagea ses inquiétudes avec sa fille.

- Lors de nos études précédentes, nous avons établi que les trois lieux de recherches envisagés seraient l'île aux Forbans, l'île aux Nattes et finalement la baie de Maroantsetra. L'Adventure Galley, le navire amiral du pirate William Kidd, un trois-mâts de deux cent-quatre-vingt-sept tonnes et trente-quatre canons a été retrouvé en 2001 à quelques mètres de l'île aux Forbans l'annéer dernière par Ritchi Baneto. Le navire amiral du pirate Christopher Condent, le Dragon fiery, a été retrouvé aussi en 2001 gisant également non loin de l'île aux Forbans... Vous ne pensez pas que nous faisons fausse route en fouillant ici à l'île aux Nattes ?

- Les fouilles effectuées dans la baie des Forbans n’ont révélé aucune trace du Victorieux, expliqua Francesca de son regard pétillant, nous avons donc toutes les chances ici à l'île aux Nattes où aucune fouille n'a été encore réalisée. Hier soir, après le montage du labo, je suis allée discuter avec les habitants de l'île. J'ai interrogé un homme qui s'avérait être un pêcheur, il m’a expliqué qu'un jour en remontant ses filets il a accroché des blocs de pierres et des morceaux de bois derrière les récifs. Les mailles de son filet se sont coincées et il dut l'abandonner sur place.

- Et où veux-tu en venir, demanda Giuseppe Verrazone ?

- Par chance pour nous, le filet émerge encore hors de l'eau grâce à un petit flotteur!


- Nous devons indiquer à Ritchi la position de ce filet, il faut ratisser dans ce coin même si le courant y est plus fort.

Francesca n'avait pas fini, elle avait une drôle d'histoire à raconter.

- Tu sais que beaucoup de peuples gardent une tradition orale, et c'est assez rare qu'un écrivain ou un navigateur faisant escale quelques semaines couche sur papier l'histoire de ces peuples. Parmi bien des histoires sur l'île et ses ancêtres que le pêcheur m'a raconté hier soir, c'est au XVIIIème siècle que se déroula un étrange naufrage devenu une véritable légende aujourd'hui. L'île de Sainte-Marie était considérée comme le repère de pas moins de mille pirates des Mers du Sud et les nombreuses petites îles constituant Saint-Marie permettaient de nombreuses caches pour les pirates et leur butin. "Un jour arriva un navire pirate français, d'après l'accent de son capitaine hurlant à chaque manœuvre, avec à son bord près de deux cents hommes, plus riches encore que les rois d'Europe. Leur navire était le plus grand des navires que l’on n’avait jamais vu sur l'île ; il passait avec peine à cause de son tirant d’eau important et ils talonnèrent sur un banc de sable aux abords de l'île. Ils laissèrent le navire échoué et gagnèrent le port de Sainte-Marie à pied. Ils écopèrent le port et les bordels de tout le rhum qu'ils pouvaient contenir durant plusieurs nuits. C'est un soir qu'ils virent passer leur bateau dans la baie du Port en direction d'Antongil. Considérant les effets de la boisson ils ne furent pas plus inquiets que cela mais quand ils quittèrent la taverne deux jours plus tard ils furent incapables de retrouver leur navire échoué. Certains pirates pensèrent qu'il s'agissait d'esprits qui leur avait volé le navire, d'autres plus gradés pensèrent qu'ils avaient mal fixé leurs ancres et qu'elles glissèrent sur le fond de sable laissant le bateau filer avec le courant. Depuis ce jour, les derniers pirates des Mers du Sud amarrèrent leur bateau uniquement dans la baie au petit îlot devenu alors l'île aux Forbans, bien en vu depuis la taverne du Port ".

Giuseppe moins réceptif aux légendes qu'aux preuves scientifiques étudiait la carte des fonds bordant l'île.

- L'île aux Nattes était redoutée pour ses hauts-fonds et un banc de sable était couramment utilisé par les pirates pour caréner leur navire. Les aventures du Victorieux depuis la tempête de la Mer des Indes, le combat de Saint-Denis, l’attaque de la Ville d’Ostende puis de la Duchesse de Noailles, les voyages jusqu’à la rivière Spirito Santo en Afrique puis jusqu'à Sainte-Marie obligèrent certainement Olivier Levasseur a réparer son bateau à Sainte-Marie.

- Oui, et la légende ne dit pas si c'est bien le Victorieux qu'ils ont vu passer ou bien le bateau d'un autre forban reprit Francesca.

- Si le bateau a bel et bien disparu s'exclama Giuseppe, il est possible que son piteux état l'ait fait sombrer sur place. C'est cette hypothèse que nous devons chercher à vérifier ces jours-ci entre une zone allant des récifs jusqu'aux bancs de sables proches de l'île aux Nattes.

- Francesca prit un appareil photo de l'équipe et se dirigea vers l'aérodrome de Sainte-Marie. La vue magnifique lui montra un point culminant appelé sur sa carte «Le phare de Sainte-Marie». Le survol de la zone dans le petit avion donna de bons résultats, des structures en bois furent localisées au large de l'île aux Nattes. Il est fort probable que le bateau sombra sur place et que les pirates se trompèrent d'île dans la nuit pour ne plus le retrouver... Ils laissèrent du coup une grande part de leur butin sous les flots, à seulement une quinzaine de brasses de fond.

10 Juin, Fin de la journée.

En attendant l'arrivée de l'équipe complète le lendemain, un petit debriefing se tenait sur la terrasse du bungalow principal du camp.

- Rien de rien, commença Ritchi, le sonar n'a rien relevé de la journée sur la zone ouest de l'île.

- Les courants sont trop forts pour maintenir le sondeur aligné, continua Victor Brûlé, nous devons corriger en permanence le cap et nous risquons de casser le câble tracteur.

- Nous avons tourné le long des récifs et bancs de sable, il n'y a pas eu d'écho probant, nous avons retrouvé seulement une chaloupe assez récente et encore entière sans que nous puissions l'approcher.

- De notre côté nous avons de bons espoirs de trouver assez rapidement une zone de fouille prometteuse. Nous avons deux pistes sérieuses, annonça Francesca Verazzone.

- Nous t'écoutons, lança Ritchi Baneto tournant sur une chaise de toile.


- Eh bien ! Je commence par les pistes sérieuses, les photos aériennes.
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Reconnaissances aériennes au large de l'îles aux Nattes. (1)
Francesca afficha sur l'ordinateur les photos du vol de reconnaissance.

- Le cadre rouge du haut montre un banc de sable idéalement placé, à la fois proche de la côte pour que l'on puisse fixer des amarres aux arbres et assez découvrant à marée basse pour qu'il soit utilisé par les pirates pour caréner les bateaux. Les marées et la facilité d'accès à quiconque connaissait les lieux permettaient un mouillage aisé des bateaux. Comme tu le disais Victor, de forts courants dans cette zone peuvent emporter les bateaux pour les marins inexpérimentés.
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le banc de sable à la pointe de l'île aux Nattes (1)

- Intéressant, répondit Ritchi en voyant la photo, et le cadre du bas, on dirait...

- Oui, c'est la deuxième piste qui va nous intéresser, le cadre du bas

- On dirait des morceaux de structure de coque lança Giuseppe Verrazone sorti de ses réflexions,


- Exactement répliqua Verazzone, ils semblent piégés dans des récifs de coraux. Je pense que demain nous devrions fouiller cette zone.
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les morceaux de l'épave visibles depuis le ciel,
des morceaux de coque et des canons entassés sur place (1)

- Oui mais comment allons nous retrouver la position de ces épaves demanda Lesseigne ? la visibilité est assez mauvaise lorsque le courant monte et à l'étale nous n'avons pas assez de temps

- C'est là qu'intervient ma deuxième piste sérieuse ! continua Francesca. J'ai discuté avec un pêcheur hier soir, c'est lui qui m'a donné l'idée de fouiller dans cette zone. Un de ses filets s'est coincé dans des structures de bois du côté de la pointe de l'île. Et il m'a dit qu'un flotteur émerge encore à la surface à marée basse.

- A marée basse ? Tu veux qu'on casse nos hélices ou quoi ! lança sans réserve Ritchi Baneto, une répartie maladroite toujours prête à s'échapper au quart de tour de sa bouche!



12 Juin, l'équipe au complet.

Ce matin là, l'aérodrome de Sainte-Marie reçut le reste de l'équipe. Tomaso Casavalle, Caillé et Colignon furent surpris de voir une chaloupe de pêche réaménagée avec un flotteur en balancier, des batteries pour le sonar, un ordinateur d'échographie et un récepteur GPS attaché avec un collier de fortune au mât de la voile. Le capitaine de l'embarcation était le patron pêcheur, l'un des seuls à connaître les lieux et capable d’éviter l'échouage. Lekerne avait déjà revêtu une combinaison « anti poisson-lion » dans le cas éventuel d'un petit dessalage.

- Je vois qu'on a recruté les services d'hommes d'expérience, dit Casavalle à Baneto avec dans sa tête le compteur des dépenses qui tournait.


- T'inquiète pas, répondit Baneto qui avait très bien compris le sens de la remarque, il ne nous prend pas cher de l'heure et je préfère avoir quelqu'un qui connaisse bien les lieux, les vents et le courant.

Baneto se tourna ensuite vers le bord de la plage où des palmiers commençaient à s'agiter sous la légère brise des alizés.

- Jean et Eric, lança-t-il, je monte dans la chaloupe avec William et le patron pêcheur, vous nous suivez dans le pneumatique assez loin des hauts fonds. Nous devons sécuriser le sonar et la chaloupe, j'ai pas envie de faire un remake d'un naufrage aujourd'hui. Jean, Giuseppe et Susann, vous préparez les bains de désalinisation : nous allons remonter ce soir ou demain quelques pièces pour des premiers prélèvements et confirmer si l'épave repérée depuis l'avion est une bonne candidate ou pas.

Francesca Verrazone se vit confier l'équipe de balisage de la zone.


- Victor, Jacques vous suivez Francesca. Dès que nous avons localisé l'épave, vous préparez le matériel de balisage et de quadrillage de la zone. A notre signal radio, vous devez intervenir assez vite et poser les bouées de marquage de la zone pour mouiller les bateaux.

Le sondeur sous-marin remorqué par la chaloupe permit d'observer le fond et les premières couches de sable. La marée descendante étant presque terminée à la montre de Susann, après une dizaine de bords, les visages d'une équipe bredouille commençaient à se dessiner.

 
- Là, à deux heures ! lança Lekerne à bord de la chaloupe à voile, un flotteur !

Ritchi Baneto ne voyait toujours rien, mais le patron pêcheur, lui, l'avait repéré parmi le clapot des vagues, il vira de bord pour s'approcher du filet et affala la voile pour ralentir l'allure. Le sonar tiré en remorque finit par détecter le contour d'une épave gisant à deux trois mètres de fond environ. L'ordinateur dévoilait enfin une épave longue de presque quarante mètres et dispersée sur presque soixante depuis le rivage.

- On l'a ! lança Baneto à la radio, que l'équipe de terre se prépare à intervenir !

- Bien reçu répondit Brûlé. On se prépare lança-t-il à Verrazone et Caillé en train de terminer les chaînes d'amarrage des bouées.

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exemple de cartographie geo-acoustique du fond marin

L'image délivrée par le sonar permit d'avoir une idée de la position et de l'orientation de l'épave. En fait les courants marins à la pointe de l'île font bouger régulièrement les bancs de sable et seul le récif au large permit d'en stabiliser certaines parties. L'épave à moitié enfouie sous le sable fut relativement bien protégée des intempéries. L'épave était recouverte jusqu'à un mètre de sable, la structure de la coque a pu être stabilisée essentiellement par les ballasts de pierres au centre de l'épave.

A terre, Tomaso Casavalle demanda à Giuseppe Verrazone et à Young d'allumer le groupe électrogène afin de faire fonctionner le laboratoire d'archéologie modulaire et les ordinateurs de la bibliothèque.

- On est parti ! lança Francesca qui avait déjà revêtu son équipement et pris le matériel de secours.

Francesca Verrazone prit les commandes du hors-bord. Vêtue d'une combinaison courte, le bas de sa jambe gauche laissait apparaître un petit tatouage représentant un serpent qui se mord la queue. Le temps que Victor et Eric montent à bord, le moteur hurlait déjà. Les vagues et le courant tapaient sur la coque. Le courant et le vent empêchaient de tenir un cap constant vers le lieu où gisait l'épave. Les récifs émergeant à certains endroits interdisaient au bateau d'approcher sereinement. L'eau était heureusement assez limpide pour se faufiler dans les passes que le corail avait fini par former avec le temps.

- Accrochez-vous, on va devoir passer les brisants et revenir avec le courant cria Francesca d'une voie plus grave et forte que d'habitude.

Sitôt dit, sitôt fait, le hors-bord franchit les premiers brisants. Se trouvant avec deux mètres d'eau sous l'hélice, le moteur fut baissé complètement pour affronter quelques déferlantes d'un petit mètre. Verrazone mis les pleins gaz, Brûlé et Caillé, attachés à la ligne de vie, ramassèrent des seaux d'eau en plein visage. Le hors-bord finit par regagner la chaloupe qui les attendait accrochée à une minuscule ancre.

Pendant ce temps, Ritchi et Lekerne rangèrent le sonar. Le vent se levait en fin d'après midi avec la marée montante.

- Propres pour la semaine, dit Lekerne avec un sourire en voyant Brûlé et Caillé trempés jusqu'aux os.

- Si nous restons là nous allons nous faire emporter par le courant, répondit le patron pêcheur.


- Nous posons les bouées et nous dégageons, décida Baneto.


13 Juin, les premières plongées sur la zone de recherche.

Un premier sondage délimita la zone de recherche. La visibilité était bonne. L'épave put être orientée, autour d’un banc de sable et d’un récif parcouru par des courants lors des marées. Les plongeurs disposaient d'une barge pour la remontée des pièces. Un compresseur pour la plongée ainsi que l'aspirateur à sable furent montés à bord de la barge. En fin d'après midi, la barge de prélèvement fut installée non loin de l'épave. Moins d'un mètre d'eau la séparait du récif et il fallut l'attacher fortement pour que ses amarres ne soient pas cassées par les brisants de la marée montante. Un aspirateur à sable permit de dégager assez vite une partie de l'épave recouverte d'environ d’un mètre de sable pour le plus profond ; certaines membrures étaient visibles depuis la vue aérienne précédente, probablement des parties de la poupe du navire. A terre, Giuseppe utilisa la technique de la dendrochronologie permettant à partir des cernes du bois d'en découvrir son époque et son origine. Ce premier prélèvement pourra confirmer s'il s'agit d'une épave correspondant bien à leur période de recherche .



14 Juin, l'extraction et la remontée de canons.

Plus de dix jours s'écoulèrent. Une cartographie établie par William Lekerne et Jacques Trémarec localisait désormais les différents éléments retrouvés autour de l'épave. Le système de repérage par de long fils tendus mis au point par Eric Caillé garantissait avec précision le positionnement des éléments retrouvés durant toute la durée de la fouille.


zone_recherche
Plan des fouilles de l'épave de la Nossa Senhora do Cabo ou encore baptisée Le Victorieux
(Source image originale : « X marks the spot »)

Des canons furent localisés par Victor Brûlé et Eric Caillé grâce à un magnétomètre. En fait, la masse très imposante de ces pièces fut facilement détectable et l'équipe put se réjouir de trouver plus d'une quinzaine de canons dans la même zone. Les canons étaient de factures très différentes : des fonderies portugaises, françaises, anglaises et même hollandaises. Cette profusion de canons différents leur permit de rapprocher l'épave des navires croisés lors des attaques comme le Victorieux (ex-Peterborough of Bristol, Angleterre), la Nossa Senhora do Cabo (armée à Amsterdam puis à Lisbonne), la Ville d’Ostende et la Duchesse de Noailles (Lorient). Les manœuvres de treuillage dans le but de remonter les canons furent entreprises très vite. Des barges accueillirent les canons pour les transporter jusqu'au rivage.

L'équipe restée à terre pour l'étude des pièces du mobilier archéologique envoya un message d'alerte aux plongeurs. Le vent se levait et le baromètre descendait. Du grain était annoncé pour les prochains jours. Le patron pêcheur profitant d'une journée sans prise vint discuter avec Francesca Verazzone.

- Bonjour, je ne te dérange pas ?

- Non pas du tout, que puis je pour toi ?

- Je voudrais savoir s'il est possible que nous récupérions le filet de pêche qui est coincé dans l'épave ?

- Pas de problème, l'équipe l'a sorti l'autre jour et l'a mis de côté pour toi, il doit être dans un coin !

- Je te remercie beaucoup !

- Mais c'est nous qui te remercions, pour nous avoir aidé à localiser l'épave et aussi pour la navigation dans les récifs ! Tu sais que la tempête arrive ?

- Oui, la couleur de l'eau a changé et les pointes des palmiers bougent. Je te conseille de ne pas plonger demain...


- D'accord, je préviens l'équipe ! Merci beaucoup.



24 Juin, dix jours de travail enfouis sous le sable.

Ce que Casavalle avait considéré comme une prédiction injustifiée pour arrêter les fouilles se révéla être une belle tempête. Quatre jours de tempête obligèrent l'équipe à déserter l'épave. La dernière plongée menée sous l'insistance de Casavalle frôla l'accident à cause d'une négligence de la part du chef d'expédition. La visibilité quasi nulle et la houle formée projetèrent Baneto et Trémarec alors en plongée contre les récifs. De retour à terre, Susann Young le médecin de l'équipe fit les premiers bilans : Trémarec, un bras cassé couronné d'une méchante plaie provoquée par le récif tranchant comme un couteau, Baneto, une plaie et de grandes entailles sur le dos provoquées par les récifs. Une morsure de requin des sables fut évitée de justesse malgré la combinaison intégrale que portait Baneto. La douleur et la fatigue provoquèrent une sévère engueulade entre Giuseppe Verrazone et Tomaso Casavalle s'accusant réciproquement de ne pas savoir juger du danger ni prendre conscience du risque qu’encouraient les plongeurs. Pour couronner le tout, le courant charriant des nuages de vase et de sable recouvrit toute l'épave. La barge laissée sur ses amarres se décrocha et fut emportée. L'équipe la surveilla et la retrouva miraculeusement échouée sur une plage de Sainte-Marie, quelques milles au Nord. Le matériel de recherche resté sur la barge ne fut pas endommagé. Un flotteur était marqué d'une sévère brèche qu'il fallut reboucher.

Plus de trois jours furent nécessaires à l'équipe pour déblayer l'épave et le reste de la structure. La barge et le matériel furent réinstallés. Les fonds remués par les courants et le vent attiraient désormais une multitude de petits poissons et à l'affût des petits poissons, des colonies de requins des sables, véritables chiens de mer qui chassent en meute dans les eaux peu profondes bordant le récif. Malgré cette promiscuité peu rassurante, des morceaux d'étrave furent retrouvés enchevêtrés sous les canons et des pierres de ballast. La découpe sur place de certaines membrures de bois montra la présence de tarets, des vers marins, ce qui donna à Giuseppe Verrazone des informations importantes sur l'époque de ce navire.

- Nous sommes sur une épave qui correspond à nos recherches expliqua Giuseppe Verrazone. Il est en effet quasi certain que cette épave est antérieure à 1760. Ce n'est qu'à partir de 1760 que les coques furent doublées de plaques de cuivre ou de plomb, une sorte de double carénage afin de se protéger des vers qui mangeaient le bois des coques comme ce fut le cas pour l'épave de la Santa Maria.


- Comme on peut le voir sur cette découpe, la coque a été dévorée par des tarets et il n'y a aucune trace de double carénage précisa Giuseppe.

La découverte de Giuseppe encouragea les plongeurs à poursuivre leurs explorations en oubliant les mésaventures des jours précédents. De nouveaux prélèvements furent réalisés en notant avec soin chaque pièce, sa position, son numéro, les objets l’entourant et son niveau de conservation. En revanche les trous effectués par les tarets montrèrent que le bateau n'avait pas coulé à cause de ceux-ci : la cassure des bois sur leur tranche était typique d'un échouage dans des récifs. De plus, le fait de trouver l'ensemble des éléments dans une zone assez resserrée permettait d'écarter l'hypothèse d'un naufrage violent. Les structures de bois recouvertes sous beaucoup de sable furent mieux protégées. L'équipe retrouva ainsi des assemblages de bois utilisant une technique de chevillage caractéristique des constructions du XVIIIème siècle. A ce jour de l'exploration, aucune trace humaine, ni squelette, ni ossement n'ont pu être trouvés, la thèse de l'échouage sans victime semble plutôt favorable à la thèse d'un combat ou d’un accident. Un navire échoué puis abandonné semble confirmer la légende Sainte-Marienne fit remarquer Francesca à son père Giuseppe, occupé dans ses analyses formelles.


30 Juin, une poignée d'épée et un coffre.

Sur l'île aux Nattes, le travail des fouilles s'était progressivement organisé. L'équipe des plongeurs Eric Caillé, Victor Brûlé, les deux archéologues Jacques Trémarec, William Lekerne, le chef des fouilles Ritchi Baneto s'occupaient des récupérations d'objets. Francesca Verrazone alternait les liaisons avec le hors-bord entre la barge et la terre et s'occupait des premiers diagnostics de santé des pièces et décidait des traitements appropriés, le classement, l'inventaire, la numérotation des pièces. Susann Young l'aidait dans cette tâche, en établissant l'inventaire des pièces. Le professeur Giuseppe Verrazone ayant amené avec lui une copie de très nombreux ouvrages, étudiait avec Colignon les pièces pour y découvrir de précieuses informations historiques sur la provenance de l'épave. Sous les tentes montées au bord de l'eau à la lisière des palmiers, les pièces et mobilier archéologique étaient déposés dans des bacs d'eau de mer afin d'être mesurés, photographiés avant d'être répertoriés dans une base de données informatiques.

L'équipe fit une découverte majeure ce jour-là, une poignée d'épée et un coffre furent sortis du sable par l'équipe des plongeurs.

- On a deux pièces, lança essoufflé Caillé à Baneto resté sur la barge. Dans cette nasse nous avons ce qui ressemblerait à un manche d'épée.

- Excellent, incroyable, cela va plaire à l'équipe, se réjouit Baneto


- Victor dégage un coffre en ce moment, une quarantaine de kilos tout au plus, difficile de l'estimer pour le moment. Envoie- nous la grande nasse sur le chantier, nous allons le remonter avec les ballons.

Une bonne heure fut nécessaire pour remonter le coffre sur la barge. La houle se remettant de la partie, l'équipe décida de revenir à terre afin de montrer ses découvertes aux autres archéologues. Giuseppe Verrazone s'émerveilla devant le manche de l'épée qui semblait avoir été incrusté de pierres.

- Pas de trace de la lame, rajouta Victor Brûlé d'un air déçu,

- Probablement brisée lors d'un combat, répondit Giuseppe... Francesca, lança-t-il en se tournant vers la table où elle travaillait, vient voir ceci, c'est très intéressant...

- Voyons voir çà...

- Cela ne te fait pas penser à quelque chose ce manche incrusté de pierre ?

- L'épée du comte d'Ericeira ?

- Exactement, regarde la forme du manche, c'est de facture royale sans aucun doute. Nous devons le mettre dans un bain de désalinisation au plus vite, j'envoie les photos au labo pour qu'ils confirment notre thèse.

- Tu n'as pas les photocopies d'ouvrage là dessus ? demanda perplexe Francesca Verazzone.


- J'en ai bien photocopié des tonnes de livres, je dois avoir ceci forcement s'exclama Giuseppe !

Dès qu'il fut débarqué sur la plage, le coffre attirait déjà tous les regards. Il fut stocké directement pour une conservation dans un bain. De facture portugaise en apparence, il pesait bien une cinquantaine de kilos tout compte fait sur la balance, il mesurait quatre-ving centimètres de long, cinquante centimètres de haut sur cinquante centimètres de large. Un poids énorme une fois sorti de l'eau.
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coffre de facture portugaise à mécanisme de serrure dans le couvercle (3)

L'aspect extérieur montra que le coffre avait été bien conservé dans un mélange de sable et de vase légère. Le coffre en bronze et en acier possédait un mécanisme complexe dissimulé dans le couvercle. Les parois du coffre étaient verdâtres, la présence de vert-de-gris était due au cuivre utilisé dans l'alliage. L'intérieur contenait des objets dont on pouvait entendre le bruit lorsqu’on le penchait, notamment le bruit excitant de pièces monnaies et d'objets plus lourds ressemblant aux bruits des lingots qui tapent sur les parois.

- Sans la clef, le coffre est impénétrable lança Giuseppe Verrazone après avoir étudié la disposition des quatre serrures. L'humidité et l'air ont sûrement provoqué la rouille des pièces mobiles de la serrure. Les concrétions des métaux vont nous empêcher d'ouvrir proprement les serrures sur place.

- Giuseppe a raison, reprit Baneto, un traitement par électrolyse sera fait au retour au laboratoire d'archéologie sous-marine afin de libérer le mécanisme de la serrure.

- Non, il n'en est pas question, lança Casavalle brisant le consensus des archéologues. Nous devons prendre tout de suite le contenu de ce coffre, les résultats de notre expédition dépendant entièrement de son contenu.

- Je suis d'accord, osa Baneto, mais nous devons également prendre soin du coffre lui-même et nous n'avons pas de matériel de serrurier avec nous.

- Je ne veux pas entendre vos problèmes techniques, vous avez jusqu'à demain midi pour en extraire le contenu.

- Il n'en est pas question, dit Giuseppe, refusant de facto d'obéir aux volontés de réussite financière de l'expédition. Je ne forcerai pas le mécanisme sans le matériel adéquat.

- Giuseppe a raison, dit Francesca. Je pense que ni Ritchi ni personne d'autre dans l'équipe ne doit prendre le risque d'ouvrir et d'endommager le coffre et son mécanisme authentique.


- Je vois, dit Casavalle, alors on attendra le retour à Marseille pour voir çà...

Victor Brûlé s'étant tenu à l'écart de l'objet de convoitise, il sortit de la nasse une partie du safran dont un fémelot, la partie femelle de la charnière autour de laquelle pivote le safran et qui portait en général le nom du bateau. Colignon s'en réjouit de plus belle et aidé de Giuseppe Verrazone, ils prirent les cotes de l'objet et de multiples photos afin d'en retrouver l'appartenance dans les traités de construction navale du XVIIIème siècle. Un traitement par électrolyse permettra de révéler les marques du fémelot. Le traitement serait long et pour de bons résultats, cela pouvait durer trois ans au grand désespoir de Casavalle.


2 Juillet , fin des fouilles.

Les objets furent répertoriés et leurs positions sur le site des fouilles furent relevées sur une carte à l'aide d'un quadrillage et de petits panonceaux où figurait leur numéro d'inventaire. L'emplacement où cette épave fut retrouvée confirma que ce lieu était un endroit fréquenté pour le carénage des bateaux. En effet, la disposition des ancres de part et d'autre du banc de sable et en direction de la côte de l'île aux Nattes montrèrent que le navire était amarré sur place. Profitant des marées et de la présence d'arbres le long de la plage, les pirates faisaient gîter le bateau sur un des flancs pour nettoyer et calfater les membrures de la coque. Un cabestan fut retrouvé sous le sable, dans un état de conservation remarquable. Le Professeur Giuseppe Verrazone put déterminer par le façonnage de la pièce que les pirates étaient en train de la réparer car le cabestan portait encore des marques de ciseau à bois et le haut n'était pas terminé. Cependant la taille des ancres retrouvées ne semblent trop légères pour amarrer un bateau de 800 tonnaux.

Les priorités furent de collecter le maximum d'informations sur la structure du navire, sa construction comme l'assemblage des pièces en bois par cloutage, chevillage, les formes des pièces en bois et la disposition des objets lourds, les modèles d'ancres, l'origine des pierres de ballast et finalement l'armement de combat du navire. Les bois prélevés furent mis en conditionnement dans des bacs d'eau douce avec du fongicide. Afin de préserver le métal de la corrosion, les pièces comme les canons, les arceaux de barrique, les ancres et une cloche furent plongés dans une eau contenant une petite quantité de carbonate de sodium qui ôte le sel. Les conteneurs de conditionnement climatisés pour le voyage jusqu’à Marseille permirent de maintenir certaines pièces à l'abri de l'air. Avec la collaboration de l'état malgache et l'autorisation des autorités locales saintes-mariennes pour l'étude et la préservation de leur patrimoine, les conteneurs furent embarqués au port de Tamatave à Madagascar sur un porte-conteneur effectuant la rotation de la Pointe-des-Galets à l'Île de la Réunion vers Marseille par le Canal de Suez. Les pièces mettraient environ vingt jours pour arriver au Département des Recherches Archéologiques Subaquatiques et Sous-marines de Marseille.

Sources des illustrations :
(1) : source de l'original : http://airblog.severyns.com
(2) : source : National Institute of Oceanography, India
(3) : source original : Pirates ou corsaires ? A l'abordage du Saint-Laurent

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